Buts de guerre
Éditorial
Quand la guerre semble triompher comme mode de relation, quand les esprits s’échauffent pour un rien, comment ne pas être pris par un mouvement en spirale dépressive où tous les malheurs coagulent? Foi et espérance aident à faire tomber les masques.
Les stratèges et les diplomates rivalisent de subtilités pour déceler ce qui pourrait constituer les buts de guerre. À Gaza, au Liban, dans l’est de l’Ukraine, et en bien d’autres lieux encore… Cette formule, à laquelle on pourrait s’habituer sans y prendre garde, essaie de donner une raison à ce qui n’en a pas. Car tout le monde sait que le but de la guerre est d’obtenir par la violence ce qu’on n’a pas trouvé dans le dialogue. En soulignant tout de suite quand même, que celui qui se défend d’une agression extérieure, comme l’Ukraine, n’a pas réellement un but de guerre : il s’agit simplement de survivre.
Si donc la guerre n’a pas de but, que faire de l’avalanche d’images de villes dévastées et d’informations qui oscillent entre gris clair et noir d’encre ? Quoi pour nous mettre un peu de baume au cœur ?
La première bonne nouvelle qui nous soit accessible est de ne pas rester indifférents, montrant ainsi notre empathie, notre capacité à prendre en nous quelque chose du malheur des autres.
On peut aussi être attentif à ces récits d’hommes et de femmes qui ont su convertir la violence en générosité. L’évêque libanais maronite Mounir Khairallah, actuellement en Europe pour le synode, raconte comment une religieuse a su faire grandir dans son cœur d’enfant un esprit de paix, alors même qu’à cinq ans il avait eu la douleur de voir ses parents assassinés. Cet événement tragique aurait pu faire de lui un soldat ; il est devenu apôtre. Il n’y a pas de fatalité au mal, car le bien regorge de ressources. C’est de ne pas le croire suffisamment que naît l’idée que la guerre puisse être raisonnable.
Dans sa lettre adressée le 7 octobre dernier aux catholiques du Moyen-Orient, le pape emploie à sept reprises, un peu comme un refrain, cette formule « je suis avec vous ». Ce n’est pas seulement une parole de consolation ; c’est aussi une disposition prophétique de proximité et de solidarité, là où tout nous pousserait à nous enfermer dans notre bulle. Il s’agit là d’une communion qui fait du bien.
Cette communion est telle qu’elle nourrit deux mouvements intérieurs. Celui de l’empathie, qui en ces jours terribles pour le Liban comporte une part de colère. Trop c’est trop, bon Dieu ! Et celui de l’espérance, en vertu de l’effet papillon appliqué au bien. L’effet papillon désigne ce processus où le battement d’aile d’un papillon en Europe déclenche, par une série de réactions en chaîne, un typhon au Japon. Évidemment, il s’agit là d’une image, plus que d’une vérité scientifique, mais rien n’interdit d’y lire une parabole qui nous permettrait de comprendre l’œuvre de Dieu et le travail invisible de l’Esprit pacificateur. Il nous faut croire que nos choix personnels modestes en faveur d’une vie plus fraternelle, ou qu’un art de vivre en société pacifié – et il y a tant à faire à ce niveau-là – puissent gagner le cœur des acteurs des conflits qui déchirent aujourd’hui le monde et leur fassent entrevoir que le but de leur action ne peut pas être autre que la vie de chaque être humain.
Arnaud Alibert est rédacteur en chef à La Croix